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Comme un crime de lèse-majesté

Transitions

Dix-sept juges, à Strasbourg, le 9 avril dernier, ont condamné notre susceptible Helvétie pour «inaction climatique». Comment ont-ils osé nous faire un tel affront? Le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), en réponse à la requête des Aînées pour la protection du climat, est perçu comme une offense, vu «l’exceptionnalité» de notre démocratie, par des élus, des médias, des citoyens et par le Conseil fédéral lui-même. Inaction? Admettons que le terme est brutal. Deux nouvelles lois ont été élaborées, l’une pour la protection du climat, l’autre sur la politique énergétique, que le peuple a récemment approuvées, mais la Cour n’en a tenu aucun compte. Trop injuste!

Après une première salve de propos vengeurs lancée vers Strasbourg durant le printemps, c’est aujourd’hui le pouvoir politique qui s’émeut de ce crime de lèse-majesté. En juin, dans les deux chambres du Parlement, la majorité de droite a voté une «déclaration critique à l’encontre de la CrEDH», assortie d’une recommandation au Conseil fédéral de ne pas donner suite à cet arrêt. D’une part parce que notre pays «en fait bien assez en matière de politique climatique», d’autre part parce que la Cour a «inventé des droits qui n’existent pas» et qu’elle a empiété sur les prérogatives du pouvoir politique. «On peut appeler ça un coup d’Etat!», s’est énervé un élu UDC, un «activisme judiciaire inapproprié et inadmissible!»

Deuxième salve à la session de septembre: le 26 de ce mois, une motion PLR soutenue par le Conseil fédéral a été adoptée par le Conseil des Etats, admonestant avec sévérité les juges de Strasbourg et leur signifiant un «rappel à leur mission première». «Je ne veux pas dénoncer la CEDH, a pris soin de préciser l’auteur de la motion, mais bien sauver le système mis à mal par certains de ses juges.» Le match entre Inactifs du climat et activistes judiciaires s’en va vers une issue incertaine…

Arrêtons-nous un instant sur les résultats tant vantés de notre politique climatique. Alors qu’une note officielle annonce béatement que notre pays «est en bonne voie pour mettre en œuvre l’accord de Paris», les observateurs et les scientifiques estiment au contraire que rien n’est acquis. «La Suisse rate sa cible», ou «dans l’ensemble, la Suisse reste hors des clous», peut-on lire dans une enquête du WWF. En fait, on s’aperçoit que c’est relativement facile de fabriquer des lois, mais que rien ne garantit qu’elles soient appliquées. Par exemple, celle sur l’énergie prescrit un effort intensif pour assainir les bâtiments, lesquels sont responsables de 40% des émissions à effet de serre (GES). Or voici qu’une opération de réduction des dépenses budgétaires vient couper précisément les subventions fédérales pour mettre en œuvre ce chantier.

Ce n’est pas tout: notre pays a exagérément tendance à externaliser ses nuisances, ce qui lui permet de manipuler son bilan CO2 en refusant d’y inclure les émissions de GES liées à nos importations et en déduisant celles que quelques projets non carbonés dans le Sud global permettent d’économiser. Se donner bonne conscience dans les pays pauvres tout en coupant les crédits pour l’aide au développement au profit de l’armée, c’est un peu ce que nous reproche la CrEDH: n’avoir pas élaboré un «budget carbone équitable» à l’échelle de la planète.

Quant à la nouvelle pratique consistant à expédier en Islande, par la route, des tonnes de dioxyde de carbone recapturé en Suisse pour les enfermer dans la roche ou les fonds marins, elle est perçue par des scientifiques comme balbutiante et chère, voire insensée. En résumé, la politique climatique de notre gouvernement a jusqu’ici consisté à faire des lois et à chercher des technologies novatrices, tout en préservant nos modes de vie et les investissements de nos banques dans les énergies fossiles… Rien à voir avec une vraie justice climatique.

A lire les comptes-rendus des débats au Parlement, ce qui frappe, c’est la suffisance des discours de la droite, ce qui donne à penser que bien peu d’élus ont pris connaissance du jugement et des innombrables références fournies justifiant la reconnaissance d’un droit à la santé et sa violation par notre politique climatique. Pas un mot sur les réels enjeux du réchauffement, ni aucune empathie envers celles et ceux que des désastres climatiques ont déjà touchés. Quant à la surmortalité des personnes âgées dues aux canicules, personne ne semble s’en soucier. Il serait utile d’analyser comment la population réagit à l’irrespect du gouvernement envers la CrEDH. Qui de nous pourrait se permettre d’envoyer balader un tribunal dont l’existence légitime est reconnue? Que penserait-on d’un prévenu d’infraction qui se risquerait à remettre à l’ordre un juge? On peut imaginer que des puissants se permettent de tels comportements, mais qu’un Etat démocratique prenne la posture d’une multinationale arrogante et imbue de son pouvoir, c’est plutôt inattendu! Il faut que les élus se rappellent que le jugement est contraignant et que le comité des ministres du Conseil de l’Europe ne lâchera rien. Quant aux Aînées pour le climat, épuisées par cette longue marche militante, elles ne lâcheront rien non plus.

Anne-Catherine Menétrey-Savary est un ancienne conseillère nationale. Récente publication: En passant… chroniques & carnets, Editions d’en bas/Editions Le Courrier, 2024.

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L’association Aînées pour la protection du climat et des plaignantes individuelles accusent la Suisse d’inaction climatique devant la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg.

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